Pourquoi faut-il passer au femto-cataracte en 2020 ?
Supplément à Réalités Ophtalmologiques n° 271 • Avril 2020 • Saison 12
La chirurgie de la cataracte est une technique éprouvée, sûre et efficace. Souvent pratiquée par des chirurgiens à fort débit, son taux de succès est élevé et les complications sont rares. La valeur ajoutée d’une pratique régulière, d’un nombre de chirurgies élevé par semaine ou par mois, d’une monospécialité rendant le chirurgien encore plus aguerri sont des gages de rapide récupération et de raréfaction des complications. C’est dire que cette chirurgie par phacoémulsification et petite incision est rendue aisée par les outils mis à la disposition des opérateurs participant à la maîtrise de la technique. |
Cependant, deux points doivent d’emblée être relevés :
>>> D’une part, la demande de récupération rapide liée à un geste sûr et rapide, qui est une constante des futurs patients opérés qui souhaitent une réhabilitation et une récupération dans des délais les plus courts possible.
>>> D’autre part, la demande d’une vraie chirurgie réfractive de la cataracte, devenant une véritable chirurgie de fonction avec une demande des opérés de plus en plus forte pour obtenir le meilleur confort visuel possible postopératoire et la meilleur qualité de vision sans lunettes.
La chirurgie de la cataracte nécessite donc une constance de résultats, dont les conséquences sont la qualité et surtout la reproductibilité de l’acte technique.
Constatations en préambule
Nous avons décidé de comparer lors de séances chirurgicales faites le même jour, avec le même bistouri lame acier sur un programme opératoire la forme et la taille de l’incision répétée successivement par le même opérateur entraîné et aguerri. Nous comparons aussi de la même manière la forme du capsulorhexis pratiqué à la pince.
La figure 1 montre une incision au bistouri angulé de 2,2 mm à simple biseau. Observez l’irrégularité. Voyez comme la zone initiale d’incision est hachurée et irrégulière. Observez la dépression cornéenne générée par le bistouri. Après pénétration du couteau dans la cornée, la longueur du tunnel sera comparée.
Fig. 1.
La figure 2 montre la matérialisation de plusieurs incisions faites selon la même méthode manuelle. Observez la grande variété de formes et de tailles.
Fig. 2.
La figure 3 montre la matérialisation de plusieurs capsulorhexis faits selon la même méthode manuelle à la pince. Observez les étapes et le déroulement de la technique à la pince. Observez leur relative régularité mais aussi la variété de formes et de tailles. Le capsulorhexis à la pince est régulier et circulaire. Cependant, il existe de multiples variations avec ovalisation, décentrement ou irrégularité.
Fig. 3.
Lors de l’incision cornéenne, malgré l’expérience, on observe que la forme, la taille, les dimensions et la profondeur d’une incision sont à chaque opération différentes. Les facteurs de la variation sont multiples : le côté opéré, la profondeur dans l’orbite de l’œil, la pression, la mobilité, le type de bistouri, etc. sont autant de paramètres qui vont modifier le comportement du couteau lors de son trajet dans la cornée. Lors du capsulorhexis, les facteurs d’inconstance et de non reproductibilité sont aussi multiples : enophtalmie, bombement du cristallin, hypermétropie forte, fibres zonulaires.
Êtesvous sûr et certain de la qualité et de la reproductibilité de vos gestes techniques dont les conséquences sont majeures sur la prédictibilité du résultat que vous promettez à vos patients ? Êtesvous certain des données que vous entrez dans les calculateurs et qui ont une incidence sur le résultat optique promis en matière d’emmétropie postopératoire, notamment d’astigmatisme induit par une incision mécanique au bistouri avec ses caractères multiples ?
Toute transformation des paramètres de l’incision, de sa longueur, de sa largeur va modifier l’astigmatisme postopératoire que vous avez prédit et inclus dans le calculateur pour une chirurgie de cataracte dite réfractive. Tout décentrement de l’implant généré par un capsulorhexis irrégulier, décentré ou ovalaire va modifier le positionnement de l’implant induisant des modifications de la qualité de la vision, à distance de la chirurgie.
État actuel de la chirurgie
En France, la technique de chirurgie de cataracte la plus pratiquée en secteur public ou privé est la phacoémulsification manuelle.
Elle est réalisée avec deux incisions :
>>> Incision principale cornéenne supérieure avec un bistouri calibré à simple coupe ou à biseau double : cette incision est tunnelisée. La largeur de l’incision est calibrée par la largeur du bistouri. Cette dimension est a priori constante bien que, lors de l’introduction du bistouri et lors de sa sortie de la cornée, des manœuvres latérales peuvent agrandir et élargir volontairement ou involontairement l’incision. La longueur de l’incision est déterminée par la distance intracornéenne de progression du bistouri ainsi que par l’angle d’incidence du bistouri et la profondeur de l’incision. Cette incision cornéenne conditionne toutes les étapes du déroulement de l’opération.
Une incision trop courte est synonyme d’absence d’étanchéité, de fuite et d’inconstance de profondeur de chambre antérieure voire de chambre plate peropératoire. Une incision trop longue est génératrice de plis cornéens peropératoires gênant la visibilité et la gestuelle : le long tunnel crée un astigmatisme cornéen postopératoire dommageable pour la vision. Une incision trop large est moins étanche : elle est moins prédictible sur l’astigmatisme postopératoire.
>>> Incision, dite de service, qui est aussi tunnelisée mais beaucoup plus petite réalisée avec un couteau de 15° ou 30° : elle est utilisée pour l’insertion d’un manipulateur qui est une aide à la gestuelle intraoculaire. Certains utilisent cette ouverture pour l’infusion alors que l’incision princeps laisse passer la pièce à main de phaco associée à l’aspiration.
D’autres opérateurs font une chirurgie dite monomanuelle avec une seule incision, l’incision principale. La mono incision réduit le traumatisme cornéen et améliore la prévision des astigmatismes induits par les ouvertures cornéennes.
L’ouverture de la capsule sous produit visqueux cohésif est faite avec une pince. La pince est utilisée pour l’ouverture initiale de la capsule puis par préhension pour la découpe circulaire. La prise de la capsule par les mors de la pince au voisinage de la zone découpée permet une découpe précise, circulaire et centrée. Parfois, des fibres zonulaires périphériques ou une forte courbure de la face antérieure du cristallin chez l’hypermétrope, voire une chambre antérieure étroite sont des facteurs qui gênent la gestuelle et provoquent une irrégularité, une anomalie de forme, une fuite périphérique nécessitant un contrecapsulorhexis inverse, voire une déchirure du capsulorhexis.
L’hydrodissection sépare l’enveloppe du cristallin de son contenu et permet la rotation du contenu cristallinien. La phacoémulsification, selon différentes techniques appelées “divide and conquer”, “en bol” ou “en colimaçon”, fragmente la partie opaque et dure du cristallin par les ultrasons. La 4
quantité et la fréquence utilisées sont fonction de l’intensité et de l’opacité à fragmenter. Il y a une relation entre la quantité et la fréquence des ultrasons et le traumatisme engendré sur l’endothélium cornéen.
La mise en place de l’implant après lavage des masses est très reproductible au travers de la petite incision, qu’il s’agisse d’implants hydrophiles ou d’implants hydrophobes – un peu moins facilement pour ces derniers. zz Apports du laser femtoseconde
Le laser femtoseconde est utilisé depuis 15 ans en chirurgie réfractive pour la découpe du volet de la cornée en Lasik. Son implication dans la chirurgie de la cataracte est donc née de la précision donnée par le laser dans la découpe cornéenne. Le passage de la technique de coupe par microkératome vers la découpe laser femto a été adopté par la plupart des chirurgiens. D’une découpe par lame acier type lame Gillette à quelques dizaines d’euros à une découpe à quelques centaines d’euros, le surcoût généré n’a pas été un frein à son développement et son adoption.
La photodissection créée par l’effet de cavitation du laser à fréquence dans l’infrarouge permet la précision de coupe.
Quels sont les arguments d’utilisations du laser femto en chirurgie de cataracte ?
Il y a trois zones d’action dans la chirurgie de la cataracte : la cornée, la capsule du cristallin et le contenu du cristallin. Les données de l’imagerie et son couplage avec le laser permettent un repérage précis des zones anatomiques.
Lors de l’incision cornéenne, malgré l’expérience, on observe que la forme, la taille, les dimensions et la profondeur d’une incision sont différentes à chaque opération. Les facteurs de la variation sont multiples : le côté opéré, la profondeur dans l’orbite de l’œil, la pression, la mobilité, le type de bistouri, etc. sont autant de paramètres qui vont modifier le comportement du couteau lors de son trajet dans la cornée (fig. 4).
Le capsulorhexis présente les mêmes caractères de variabilité : centrage, forme, régularité… La variabilité de la forme est aussi liée au geste chirurgical, à la pression intraoculaire, à la forme du cristallin antérieur, au bombement de la capsule antérieure, à la profondeur de la chambre antérieure, à Pourquoi faut-il passer au femto-cataracte en 2020 ?
la dilatation pupillaire, aux fibres zonulaires. Le geste technique est exécuté soit à l’aiguille, soit à la pince, soit avec les deux instruments.
Ces deux étapes sont donc manuelles et dépendantes du geste chirurgical ou de la main du chirurgien. Elles sont chirurgiendépendantes. Et même si le chirurgien est entraîné, on constate qu’il y a une grande variabilité dans leur exécution et surtout dans le résultat escompté et obtenu. Ces arguments pèsent lourd dans la balance de l’automatisation par le laser femtoseconde.
Le repérage grâce à l’imagerie des structures opérées et le calibrage des incisions et du capsulorhexis sont des facteurs évidents de reproductibilité ! La nouvelle génération des lasers femtosecondes (VICTUS, Bausch + Lomb) est équipée d’un système OCT à très haute résolution développant plus de 40 000 Ascans par seconde, donnant une image de très grande qualité : automatiquement, il reconnaît la pupille, l’épaisseur du cristallin ainsi que la capsule antérieure et postérieure. Le femto calcule la surface de la capsule antérieure et reconnaît l’apex du cristallin : le capsulorhexis est donc centré sur l’apex et non sur le centre pupillaire, ce qui a une importance notable dans l’implantation multifocale ou torique (fig. 5).
L’ultime aboutissement de l’utilisation du laser femtoseconde est l’utilisation minime voire nulle des ultrasons au cours de la fragmentation du cristallin. Les options de fragmentation par femto sont multiples, en toile d’araignée, en grilles,
circulaire, radiaire, tous ces types pour aboutir à l’utilisation d’une sonde dite zéro phaco.
Le femto-cataracte en France et dans le monde
En France, 25 centres sur plus de 70 établissements sont équipés d’un femtolaser. Face à nos voisins les plus proches, la France est largement en retrait : 57 en Italie, 55 en Espagne, 103 en Allemagne, 30 en Angleterre. Environ 2 % de cataractes ont été opérées en 2018 avec le laser femto contre 10 % aux ÉtatsUnis. Le surcoût généré par le laser en public comme en privé varie de 300 à 500 euros.
Conclusion
Le 1er argument de la nonutilisation du laser femtoseconde relève avant tout du pseudoallongement de la procédure par rapport à une chirurgie classique. Le laser femtoseconde pour la cataracte nécessite une intégration globale dans un process optimisé pour la chirurgie de la cataracte, où la phase laser est dissociée de la phase chirurgicale.
Le 2e argument est celui de l’absence de valeur ajoutée. Cet argument a été mis en avant en Lasik entre la découpe lame et la découpe laser. Les années d’utilisation ont démontré l’avantage de la découpe du volet tant dans sa reproductibilité que dans la précision de la profondeur de coupe. Une incision automatisée sera toujours plus précise et reproductible qu’une incision manuelle !
La discussion sur la réduction de la phase ultrasons et son gain sur l’endothélium n’est pas tranchée : l’étude FEMCAT, réalisée en France avec les premières générations d’appareils, ne donne pas de gain sur la perte endothéliale. Les nouvelles générations de femtocataracte et l’utilisation de pièce à main zéro phaco démontreront sans doute le contraire.
Enfin, la montée en puissance de la chirurgie réfractive du cristallin cataracté ou même clair nécessite une chirurgie de plus en plus réglée et reproductible. Le calcul de l’emmétropie postopératoire passe par une parfaite connaissance des paramètres cornéens induits par l’incision et par le parfait centrage de l’implant sur l’apex cristallinien. La valeur ajoutée du laser femtoseconde passe par une courbe d’apprentissage et une utilisation régulière.
La tendance globale à la robotisation de l’acte chirurgical fait son chemin dans toutes les disciplines. Chaque spécialité voit ses utilisateurs et ses détracteurs comme dans la chirurgie urologique et l’utilisation du robot Da Vinci. Chaque industrie subit les mêmes avancées et l’utilisation de systèmes automatisés, qu’il s’agisse de l’automobile et ses voitures autonomes, de l’aéronautique et de ses systèmes d’aide à la navigation. Nous avons connu, au cours de l’histoire de la chirurgie Lasik, les mêmes discussions, mais le temps donne raison à la technologie, à sa fiabilité et sa reproductibilité liées à la moindre utilisation de la main du chirurgien.
Bibliographie
- Haute Autorité de santé. Conditions de réalisation de la chirurgie de la cataracte : environnement technique. SaintDenis La Plaine : HAS ; 2010.
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- Reddy KP, Kandulla J, auffaRth Effectiveness and safety of femtosecond laserassisted lens fragmentation and anterior capsulotomy versus the manual technique in cataract surgery. J Cataract Refract Surg, 2013;39:12971306.
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- ye Z, li Z, he A metaanalysis comparing postoperative complications and outcomes of femtosecond laserassisted cataract surgery versus conventional phacoemulsification for cataract. J Ophthalmol, 2017;2017:3849152.